Une fois encore, elle courut en direction des toilettes du lycée, de chaudes larmes roulant à vive allure sur ses jours marquées par les coups. Elle eut l'impression de suffoquer, d'étouffer. Sa respiration était haletante, sans cesse en train de reprendre son souffle. La jeune fille prit sa tête entre ses mains, tremblantes. Des spasmes intenses firent trembler son ventre, toujours sous une peur intense. “ Je sais que t'es là ! Ouvre, la putain ! J'en ai pas fini avec toi !” Ses yeux rouges s'écarquillèrent et, d'un réflexe étrange, la jeune femme retint sa respiration. Une voix de mâle, familière à ses oreilles, retentit dans l'enceinte des toilettes. Lorsqu'il enfonça son poing dans la porte fermée, derrière laquelle se trouvait la jeune Mi Ran, elle n'eut d'autre choix que de sortir, tout en sachant pertinemment sa sentence. Le sourire narquois du jeune s'afficha sur son visage marqué par de nombreuses cicatrices. Un public de lycéens était placé lui, prêt à rire de la punition affligée à la martyr. “ Tu voulais m'échapper, c'est ça hein ? ” Une phrase, un geste violent qui la fit tomber. Tout ça, elle connaissait déjà, elle l'a toujours connu. Elle se releva tant bien que mal, fébrile. “ Pour … Pourquoi vous vous en prenez toujours à moi ? Qu'est-ce que j'ai fait ?
▬ Qu'est-ce que t'as dit là ? Je rêve ou tu m'adresses la parole ?
▬ J'ai... J'ai rien dit... ”
Sur ces mots, Mi Ran ravala sa salive, les yeux rivés vers le sol infâme. Elle ne broncha pas lorsqu'une de ses ex amies cracha sur ses chaussures. La soumission était une situation qu'elle connaissait et subissait tous les jours. Un léger cri de douleur s'échappa d'entre ses lèvres quand le persécuteur lui tira les cheveux et la balança sur le sol. S'en suivit une série de coups dans les côtes par les nombreux spectateurs. Les toilettes vides, Mi Ran laissa éclater ses émotions. Ses yeux étaient remplis de larmes. Elle se prit les côtes et constata dans le miroir les dégâts causés sur son corps. Sa peau était couverte d'hématomes plus douloureux les uns que les autres. Elle attendit patiemment, des heures durant, que tous ces monstres rentrent chez eux avant de pouvoir faire de même. Le stress était tel au lycée qu'elle dût être hospitalisée pour un ulcère gastrique quelques mois auparavant.

Sur le chemin du retour, elle se remémora de vieux souvenirs. Née à Séoul d'une mère et d'un père, une famille des plus banales, sans aucune histoire particulière. Un manque était enfoui au plus profond d'elle-même. Il avait fallu plusieurs années à Mi Ran pour identifier l'origine de cette privation. Elle y était parvenue, et depuis, elle ne voyait plus sa mère de la même façon. Sa mère, cette femme qui était censée donner sa vie pour ses enfants, les défendre corps et âme quoi qu'il advenait, l'avait délaissée dans un coin de son cœur depuis la naissance de la petite sœur de sa fille aînée. Son père était un homme soumis qui n'osait jamais adresser un mot plus haut que celui de sa femme. Elle n'a jamais eu l'idéal du père super héros que tous les enfants ont. Elle avait plutôt en tête un lâche qui ne serait jamais capable de la défendre en cas de danger. Elle enviait avec hargne la famille de son amie, rencontrée au collège. On ne pouvait séparer les deux filles, elles étaient toujours fourrées ensemble ! Chacune pouvait compter sur l'autre, un vrai sentiment d'amour fraternel, comme jamais partagé avec sa “ vraie ” famille. Le rêve prit fin lorsque seule Mi Ran put entrer au lycée que toutes deux convoitaient. Leur amitié ne paraissait finalement qu'à sens unique puisque cette fameuse amie la laissa tomber et tenta de se suicider. Le cauchemar commença alors. D'une fille invisible et inconnu par la majorité des lycéens, elle était devenue le souffre-douleur et le martyr de chacun. Tout cela était parti d'une stupide rumeur lancée par son ex amie – qui avait par ailleurs réussi à entrer dans le lycée. “ Mi Ran a piqué mon petit-ami ! ” Une phrase absurde qui ne pouvait refléter la réalité. Et pourtant, tout le monde y crut. Sa vie était devenue une vie misérable, remplie de menaces et de violences verbales ainsi que physiques.
Entrant délicatement dans son lit, la lycéenne observa les photos d'elle et de son ex amie lorsqu'elles n'étaient encore âgées que d'une dizaine d'années. Une larme roula lentement sur sa joue, une moue de dégoût s'afficha sur son visage. Elle prit une paire de ciseaux avant de séparer consciencieusement les deux corps. Un sourire s'afficha sur son visage d'ange. Elle s'endormit en se préparant au calvaire qu'elle allait subir, une fois de plus, le lendemain.

Quelques années plus tard, Mi Ran quitta son lycée, laissant derrière elle les pires années de sa vie. De son passé de martyr, elle est devenue craintive et timide. Elle ose à peine parler en présence d'inconnus, de peur qu'ils la rejettent, une fois de plus. A l'université, quasiment personne ne la connaît, et espère que cette situation perdurera. En dernière année d'études de kinésithérapie, elle pourra bientôt faire son entrée dans le monde du travail.