Le rêve américain, un concept, une idée, qui a alimenté bon nombre d’individus, qui a donné beaucoup d’espoirs aux immigrés, aux personnes pauvres, aux étrangers, voir mêmes, aux américains eux-mêmes. Encore maintenant, cette idée est présente dans les mœurs, dans les idéaux, dans les rêves. Chacun voit en l’Amérique, un rêve inaccessible, une chance inouïe, un paradis sur Terre. Plus précisément, pour cibler une ville, Miami est la ville même du stéréotype des femmes se baladant en rollers, avec des corps sveltes & des poitrines conséquentes, des hommes au torse d’Hercule roulant avec des voitures telles que Porche, Subaru, bref, la ville de la jeunesse dorée, où tout est permis, même les pires débordements dans les soirées « skins ». La plupart des habitants, voir la quasi-totalité, sont des « fils de » ou « filles de », chacun marchant sur l’or. Telle est la représentation de ma ville natale, de l’endroit où tout a débuté, de là où j’ai ouvert, pour la première fois, mes yeux encore mouillés par l’opération. J’aimerai affirmer cette idée, dire que tout est vrai, que c’est une ville offrant milles merveilles. Mais cela serait hypocrite de ma part & un terrible mensonge. Personne n’est obligée de me croire vis-à-vis de mon aperçu de cette ville, de cet immense continent. Autant conserver les espoirs, les images parfaites, au risque de voir son rêve s’effondrait en une fraction de seconde.

J’ai vécu pendant quatorze, longues, années à Miami, profitant de la plage, du soleil, de la jeunesse flamboyante, des fêtes, des premiers alcools, des premières cigarettes étouffantes. Mais il n’y avait pas que ça. Ma vie n’était pas qu’un longue fleuve tranquille, je ne vivais pas qu’en pensant à aujourd’hui, je pensais aussi à demain, de quoi était fait l’avenir, ce que le destin me réservait. De famille modeste, je ne vivais pas dans une de ces grandes villas à en éblouir les yeux, je ne vivais pas non plus près des côtes marines, là où le prix des maisons était exorbitant, je vivais dans un petit appartement, avec mes parents & ma sœur aînée, le plafond touchant presque nos têtes. Je n’avais pas non plus de voiture, dernière génération, je ne roulais pratiquement qu’en bicyclette. Mes écoles n’étaient pas les plus populaires, les plus classées, elles étaient même dans les premières, en partant de la fin. Ce n’était certes pas les « poubelles » de la ville, mais elles n’étaient pas très bien vues. Je n’avais pas d’uniforme magnifiquement bien repassé, de vêtements de marque ou encore des chaussures hors de prix, j’étais toujours habillé simplement, mais bien. Finalement, la seule chose qui faisait mes charmes auprès des filles riches, modestes ou encore pauvres, c’était mon physique. J’ai toujours eu un visage, un corps, très plaisants, sans m’en vanter pour autant. C’était, & c’est toujours, la seule chose dont j’en prenais extrêmement soin, pensant que les autres ne m’aimaient que pour cela. Mon apparence a toujours été une chose primordiale à mes yeux. Je prenais souvent des heures à me préparer, me levant à l’aube, pour ne pas gêner ma famille dans mes préparations.

Pour parler, brièvement, de ma famille, composée de ma sœur aînée, de mes parents & de moi-même, elle a toujours été assez soudée, malgré quelques longues disputes prenant des proportions importantes. Mes parents s’étaient rencontrés par hasard, lors d’un match entre mon père & un adversaire. En effet, mon père est un ancien boxeur professionnel. Auparavant, il était appelé dans chaque contré, il était l’idole d’un bon nombre de personnes aimant ce sport. Il a toujours désiré que je prenne sa succession mais il a rapidement pris conscience de mon rejet du flambeau. C’est certainement pour cette raison que j’aime pratiquer divers sports, mais que cela reste un loisir. Dans tous les cas, mon père était le seul à ramener de l’argent, ma mère étant au chômage à cause de la faillite de l’entreprise dans laquelle elle travaillait. Deux ans avant mon départ pour la Corée du Sud, mon père a été grièvement blessé & dût abandonner sa passion, son métier. Ce fut un évènement dramatique qui plongea en quelque sorte la famille dans un mutisme le plus complet. C’était comme si quelque chose avait disparu, comme si la flamme nous animant avait disparu. Ma mère dût trouver rapidement un travail, faisant des heures supplémentaires pour nous nourrir, la « retraite » de mon père étant insuffisante. Pour aider notre mère, ma sœur & moi-même, nous avons dû travailler à droite & à gauche, amenant quelques revenus. Ayant une voix d’or & des pas de danse à en couper le souffle, je pensais avoir une chance dans la chanson ou encore dans la danse, passant de nombreuses auditions, mais malheureusement, à chaque fois, c’était un échec de plus, me frustrant de plus en plus & me rendant beaucoup plus aigri. C’est pour cette raison qu’actuellement, je travaille dans la radio. Certes, cela ne me permet pas de grimper les échelons dans la musique, ou encore dans la danse, mais cela me rapproche un peu plus chaque jour de ma passion, & cela me permet de garder espoir, de me dire que certaines personnes ont eu la chance que je n’ai jamais eue.

A l’âge de 14ans, donc, j’ai quitté Miami. J’ai quitté ce cauchemar infernal qu’avait engendré la retraite de mon père dans le domaine de la boxe. On pense souvent que cela ne se passe que dans les films, que tout est exagéré, mais quand on vit une telle chose, on sait faire la part du vrai & du faux. Certains adeptes, ou encore appelés « fans », de mon père, désiraient le revoir sur le ring, & le menaçaient même parfois, envoyant des lettres de mort, ou laissant des messages significatifs (comme des rats morts sur le paillasson). Pendant deux ans, ce calvaire dura. Je vivais dans la grande de me faire harceler, en rentrant des cours, ce qui arrivait, de temps en temps, mais heureusement, ce n’était jamais des personnes armées. Car oui, en Amérique, il est très facile de se procurer une arme, & il est donc très facile de tuer. A cette époque, c’était déjà une vague de mode. Chaque fois que je rentrais, j’étais soulagé d’être vivant. Ma mère, ne voulant pas déménager, il était impossible de changer d’endroit, de partir loin de cette pression, de quitter le pays lui-même. A l’école, il m’arrivait d’être blessé, de me battre avec d’autres personnes, parfois sous l’effet de la pression, ou parfois même à cause de la pression. Avoir un père ayant abandonné sa carrière professionnelle de boxe à cause d’une blessure engendrée par un débutant, c’était, inconsciemment, une honte profonde. Mais je parvenais à survivre dans cette jungle, car fort heureusement, se lever chaque matin n’était pas tous les jours une épreuve. Il y avait des jours calmes & des jours moins calmes. Un soir, en revenant des cours, sur le chemin du retour, un ancien « fan » de mon père a eu soudainement une hallucination & est venu à moi, une batte en main, m’accusant d’être le coupable de l’arrêt de mon père. Il était grand, plus âgé & beaucoup plus musclé que moi, je ne faisais pas le poids. Les individus passant devant la scène ont dénié voir quelque chose & m’ont laissé faire face à cet évènement, à cet homme dangereux. J’ai été hospitalisé pendant deux semaines, restant dans le coma pendant plusieurs jours. Cet accident a causé une cicatrice dans mon dos, que je tente de cacher tant bien que mal. Le seul point positif est qu’après cela, ma mère a finalement pris la décision de partir & tout le monde l’a suivi, sans rechigner. Je n’ai aucune nostalgie quant à ma vie passée & je suis même heureux d’avoir quitté ce pays qui n’apporte pas que des moments de bonheurs & d’espoirs. Je ne compte pas y retourner un jour, en tout cas, pas à Miami.

En arrivant à Séoul, quelque chose en moi, dans ma vie, avait changé, radicalement. Je n’étais plus le même & mon entourage le ressentait & en payait les frais. C’était comme si j’avais laissé quelque chose de crucial à Miami : ma propre vie. Mon agresseur, le fou, le non-humain, ne m’a pas laissé qu’une cicatrice. Si cela n’avait été que ça, mon histoire aurait pris fin & aurait été des plus banales. Je me serai levé chaque matin, comme tout être humain, prenant mon petit déjeuner, comme tout être humain, voguant à mes activités, comme tout être humain, j’aurai été simplement un être humain vivant comme les milliards de personnes sur Terre. Sauf que je suis tout sauf un être humain basique. En effet, mon agresseur, dans un moment de folie intense, m’a transformé en un monstre, en une bête que l’on ne trouve que dans les contes d’horreur, qui n’existe que dans les mythes, dont personne n’en croit l’existence, moi-même, je n’y croyais pas. Mais il faut le vivre, le voir, pour savoir que cela ne se trouve pas que dans les plus anciens mythes. Ce fou, ce bâtard, pour exprimer ma plus grande animosité, m’a transformé en vampire. J’étais devenu cet être assoiffé de sang, présenté comme le plus grand prédateur de l’homme. Je ne l’ai pas su grâce à mon « géniteur », si je peux l’appeler ainsi, mais par mon médecin, lui-même vampire. C’est de lui que j’ai tout appris, il m’a enseigné les bases, l’histoire, tout ce que je devais finalement savoir sur les vampires. Au début, je n’y croyais pas, le prenant pour un fou, lui aussi, pensant qu’il faisait partie d’une secte. Néanmoins, j’ai rapidement compris qu’il disait vrai, j’étais différent, j’étais, pour ma plus grande contrariété, mort. Dégouté de moi-même, j’ai eu le désir d’en finir, concrètement, mais trop faible face à la mort, j’ai finalement accepté ma véritable nature & j’avoue en abuser de temps en temps (surtout concernant l’hypnose sur les humains). Être un vampire, ce n’était pas si mal que ça, c’était peut-être même une seconde chance, une opportunité, un moyen de briller, sans briller, d’être « autre ». C’est donc, aussi, pour cette raison que j’ai quitté Miami, pour tenter de construire une nouvelle vie, pour oublier le passé. Mes journées ressemblent toutes à celles d’un humain normal, la seule différence est que je ne vis pas chaque journée en tant qu’humain, mais en tant que vampire. Mon entourage ne sait pas ma véritable nature, ils m’emmèneraient directement dans un hôpital psychiatrique, alors, je tente d’être le plus normal possible, de vivre une vie tout à fait normale. Mais . . . qu’est-ce que la « normalité » quand on est un vampire ?