« Dear Emma,

Comment vas-tu ? Je ne te mentirais pas, mais pour ma part, comme tu le sais déjà, mon âme n’est plus animée par la joie depuis longtemps. J’ai finalement loué un appartement dans ce quartier de Séoul que tu aimes tant, celui dans lequel je t’avais promis que nous logerions incessamment ; cela fait maintenant un an. Mon patron, le gérant d’un bar moisi, me dit souvent que mon coréen s’améliore. Je crois juste qu’il essaie de me flatter, car je sais que mon accent ne vaut rien ! Tu rirais si tu m’entendais patauger au milieu de toutes ces intonations, il m’arrive, parfois, d’entendre ton rire cristallin au milieu de mes maladroites erreurs. J’aurais aimé que tu sois là, que tu vois, toi qui désire ardemment ce pays depuis longtemps déjà. La vie n’est pas toujours évidente ici, les gens me regardent d’un œil circonspect, je ne sais pas si cela est dû à mon faciès d’occidental, ou ma tête d’incorrigible grincheux ? Ou peut-être l’alcool et la cigarette n’arrange rien à mon teint blafard ! Tu disais que je buvais trop, si tu voyais seulement les cadavres de bouteilles débordant de la poubelle et jonchant le sol de la rue, tu serais horrifiée. Tu serais horrifiée car tu te rendrais compte que je suis un homme esseulé comme les autres : si seul et si sale. (ça fait une semaine que je ne me suis pas rasé.) La bière irlandaise me manque, l’ersatz que distribue ce pays n’est qu’une pâle copie de notre or ambré ! Aujourd’hui vidée une bouteille de whisky ne n’apporte guère plus qu’un verre d’eau. Alors je ne bois plus pour oublier, parce que cela n’a plus d’utilité, je bois pour me noyer.
Tu me manques, Emma…
Je ne sais plus trop pourquoi je continue de marcher, où cela va me mener, mais je ne pense pas en tirer rien de bon si ce n’est te venger. L’idée de m’être impliqué dans cette « aventure » te paraîtrait insensé, tu en serais morte d’inquiétude, tu me supplierais de renoncer, tu tenterais de me convaincre que ça n’en vaut pas la peine, que je suis jeune et que tant de vigueur ne devrait être gaspillé avec autant d’impertinence ! Mais c’est plus fort que moi, tu vois, je n’y peux rien… Nous n’étions âgés que de dix-huit ans lorsque nous avons juré nous aimer pour la vie, de pauvres imbéciles. Je t’ai aimé comme un homme aime une femme pour la première fois, dans toute ta splendeur et ta fragilité, ta force et ton enthousiasme, tout ce qu’un homme ne possède qu’à l’état latent. Je n’ai jamais été digne de toi, aujourd’hui encore moins qu’hier. Maintenant… maintenant, tu es enterrée sous cette pierre si grise et si froide, la gorge tranchée jusqu’à l’os. J’aurais dû t’écouter lorsque tu me murmurais « believe » au creux de l’oreille, alors que je riais de tes âneries. Je voyais bien que ton nouvel ami n’était pas commun, qu’il cachait derrière ce sourire mièvre quelque chose de louche ! Je l’ai vu se servir de toi comme d’un pantin, te vider de ton sang, de ton âme, et… je n’ai rien pu faire. A présent je crois. J’ai promis de lui arracher le cœur, peu importe que nos forces ne soit pas égales, je lui soutirerais son dernier souffle et si je dois mourir pour cela alors je le ferais. Je sais qu’il vit ici, dans les environs de Séoul. J’ai fait quelques recherches, sans grand succès, peu d’informations cohérentes et intéressantes, néanmoins cela me suffit pour poursuivre ma tâche. Je ne suis pas pressé.

Je ne te dis pas au revoir, non. Pas encore.

Je t’aime, Ioseph. »